Cet article s’inscrit dans une série commandée par Fondations communautaires du Canada pour accompagner les rapports nationaux Signes vitaux sur l’égalité des genres. La série sera publiée au cours de l’automne 2020 et accessible ici.

Mise en garde : ce billet de blogue contient des références à la discrimination et à la violence fondées sur le genre, entre autres la violence facilitée par la technologie, la violence conjugale, les crimes haineux, le racisme et la violence sexuelle. 

Le 11 mars dernier, quand l’Organisation mondiale de la santé a déclaré que la COVID-19 était une pandémie, plusieurs personnes ont immédiatement compris ce que cela signifierait pour la violence fondée sur le genre au Canada.

En effet, les vagues initiales de COVID-19 ont confirmé ce que les pandémies précédentes avaient déjà révélé, soit des taux de violence conjugale qui ont monté en flèche, ce qui s’est concrétisé dans des pays comme la Chine, la France, l’Italie, Singapour et l’Espagne.‎‎‎ En effet, de nombreuses personnes ayant survécu à la violence conjugale se sont retrouvées prises avec leur agresseur, qui ont profité de cette période de confinement pour leur faire encore plus de mal. Il en va de même au Canada où, dès que le nombre de cas de COVID-19 a commencé à croître et que des mesures de confinement ont été mises en place, nous avons observé la même tendance, soit une hausse de 20 % à 30 % de la violence conjugale.

Collectivement, les associations membres de la fédération canadienne de YWCA œuvrent dans plus de 300 communautés à travers le pays. Elles font partie de l’intervention de première ligne pour contrer la hausse de violence fondée sur le genre.

Or, d’un bout à l’autre du pays, nous avons entendu des histoires d’agresseurs qui contrôlent l’accès à des produits essentiels, qui surveillent l’utilisation de l’internet et du cellulaire, qui gardent les enfants sans tenir compte des modalités de garde partagée, voire qui menacent d’expulser la personne partageant leur vie ainsi que les enfants de leur foyer. En fait, plusieurs de nos maisons d’hébergement ont vécu une hausse du nombre d’appels téléphoniques et de demandes de personnes survivantes qui souhaitent fuir des situations dangereuses de violence conjugale.

S’attaquer à la « pandémie fantôme » qui se perpétue depuis des générations

Les Nations Unies ont qualifié l’augmentation de violence fondée sur le genre pendant la COVID-19 de « pandémie fantôme », compte tenu de l’intensification et de la transformation dont elle est l’objet depuis la crise. Alors que le nombre de personnes passant du temps en ligne augmentait, une poussée de violence facilitée par la technologie a été observée, en particulier contre les femmes trans et cis, ainsi que les personnes de diverses identités de genre. De plus, il existe un danger croissant pour les personnes travaillant dans l’industrie du sexe et on dénombre une hausse des signalements d’exploitation d’aides familiales et de personnel soignant ayant un statut d’immigration précaire. Nous avons aussi entendu dire que certains propriétaires immobiliers profitent des difficultés financières de leurs locataires pour exercer des pressions afin d’avoir des rapports sexuels en échange de réductions de loyer

La triste réalité, c’est que la violence fondée sur le genre dans ce pays ne date pas d’hier. Il s’agit d’une manifestation continue de la colonisation et de la misogynie. Bon nombre des situations décrites ci-dessus se produisaient bien avant la COVID-19, et elles se poursuivront sans doute encore longtemps après l’arrivée d’un vaccin.

Quand il s’agit de violence fondée sur le genre, nous devons reconnaître la violence et les préjudices que subissent les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones dans ce pays depuis des temps immémoriaux, et prendre des mesures à cet égard.  

Selon une perspective intersectionnelle, nous devons admettre que les expériences de violence fondée sur le genre sont distinctes et plus prononcées pour les femmes et les personnes bispirituelles et de diverses identités de genre qui vivent une forme aggravée de marginalisation en tant que personne noire, autochtone, racialisée, nouvelle arrivante, immigrante, réfugiée, migrante ou vivant avec un handicap.

Pourquoi faut-il s’attaquer à la violence fondée sur le genre dans la relance économique?

Dans les discussions sur la relance économique au Canada, la nécessité de s’attaquer à la violence fondée sur le genre a été peu abordée. Pourtant, le fait est que la violence fondée sur le genre est une atteinte aux droits de la personne. Ce faisant, elle devrait être considérée comme un problème à la fois préoccupant et urgent.

En outre, nous constatons aussi que la violence fondée sur le genre coûte à l’économie canadienne du financement vital qui pourrait être investi directement dans les communautés. Une étude fédérale de 2012 a d’ailleurs révélé que la violence conjugale et sexuelle retranche 8,4 milliards $ par année au PIB canadien. 

Au bout du compte, nous ne pouvons pas espérer une relance économique dans un climat de haine, de peur et de violence. C’est pourquoi dans notre Plan de relance économique féministe, nous demandons la mise en place d’un plan d’action national sur la violence fondée sur le genre et la mise en œuvre des Appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Comment les fondations communautaires peuvent-elles agir?

À l’heure actuelle, nous sommes à un tournant de la trajectoire de la pandémie de COVID-19. Or, l’un des legs de cette période particulière doit être la mise en place de mesures pour lutter contre toutes les formes de violence fondée sur le genre. Mais cela ne peut se produire sans qu’il y ait des investissements soutenus.

Le 25 novembre, nous soulignerons la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui marquera également le lancement des 16 jours d’activisme pour mettre fin à la violence faite aux femmes. Le thème de cette année, « Orangez le monde :financez, intervenez, prévenez, collectez! » nous fournit les appels à l’action dont nous avons besoin pour lutter contre toutes les formes de violence fondée sur le genre. 

Les organismes ancrés dans la communauté qui bénéficient de la confiance des personnes ayant survécu à la violence fondée sur le genre, et qui ont l’expertise pour les soutenir, doivent être appuyés. À l’heure actuelle, les services essentiels qui favorisent la santé mentale et la guérison sont sur pause, si bien que les listes d’attente s’allongent. En raison de la COVID-19, plusieurs risquent de carrément disparaître.

C’est pourquoi un financement de base pluriannuel est à la fois urgent et nécessaire, non seulement pour traverser cette tempête, mais aussi pour reconstruire mieux qu’avant.

Je vous demande donc de réfléchir au rôle que vous pouvez jouer et à la façon dont vous pouvez appuyer les organismes ancrés dans la communauté qui travaillent très fort sur le terrain. Nos communautés ont un besoin urgent que nous fassions notre part. De la société civile aux fondations communautaires, en passant par le secteur privé et les gouvernements, nous avons tous un rôle à jouer dans la création d’un avenir sans violence. Nous ne pouvons plus attendre. Il est plus que temps d’agir.

Maya Roy, BSS, MSc, est présidente-directrice générale de YWCA Canada, le plus grand et le plus vieil organisme voué à l’égalité des genres au pays. Elle siège actuellement au comité consultatif de la ministre Maryam Monsef sur la violence fondée sur le sexe. Lauréate du programme 40 Canadiens performants de moins de 40 ansMD, Maya fait partie des Jeunes leaders mondiaux du Forum économique mondial et a été membre du Conseil consultatif sur l’égalité des sexes du G7 en 2018.