Titulaire d’un diplôme en science politique avec une spécialisation en études postcoloniales, Rudi Wallace (vice-président, Subventions et initiatives communautaires de la fondation communautaire de Hamilton) travaille depuis des années dans le secteur de la philanthropie et des organismes à but non lucratif.

Lorsqu’on lui demande ce qui l’a attiré vers ce secteur, M. Wallace répond : « Mes deux parents viennent de pays en développement et ont vécu la décolonisation lors de mouvements d’indépendance. Mes ancêtres étaient des travailleurs en servitude de l’Inde et de la Chine, qui ont travaillé dans les plantations de canne à sucre du Guyana et de l’île Maurice après que la traite transatlantique des esclaves a pris fin. » 

Pour illustrer la complexité de la colonisation et de l’identité, Rudi Wallace ajoute qu’il compte aussi parmi ses ancêtres des colons portugais et néerlandais installés au Guyana. Il mentionne également que sa famille a un « engagement profond à l’égard de l’autodétermination, de la décolonisation et des pratiques antiracistes et anti-oppressives ».

C’est cet engagement qui guide le travail de M. Wallace, et c’est le même type d’engagement qui a donné lieu à la création de la récente étude « Changer la dynamique du pouvoir : équité, diversité et inclusion dans le secteur à but non lucratif ».

Proposée et soutenue par le Réseau pour l’avancement des communautés noires, cette étude a vu le jour grâce au Collectif pour une relance équitable, qui regroupe divers organismes, dont Fondations communautaires du Canada. Dans le cadre de l’étude, un sondage a été mené en 2022 auprès de 1 655 dirigeants et dirigeantes d’organismes de bienfaisance et d’organismes à but non lucratif. Les organismes ont été regroupés en trois catégories : les organismes dirigés par des personnes blanches, les organismes dirigés par des personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) et les organismes dirigés par des personnes d’autres groupes sous-représentés.

« On ne peut pas avoir cette conversation [sur l’EDI] sans avoir une conversation très difficile au sujet de la provenance du financement [philanthropique], qui tourne souvent autour du colonialisme, de l’oppression, de la dépossession des terres et des ressources des communautés autochtones », fait-il valoir.

Parmi les faits saillants de l’étude, notons le suivant : la plupart des gens qui dirigent des organismes à but non lucratif soutiennent l’équité, la diversité et l’inclusion, mais ils sont beaucoup moins nombreux à en prioriser concrètement l’intégration. Parallèlement, même s’ils doivent surmonter des obstacles beaucoup plus importants, les organismes dirigés par des personnes autochtones, noires et de couleur fournissent davantage d’efforts pour faire progresser l’égalité, la diversité et l’inclusion (EDI). En fait, alors que 84 % des organismes dirigés par des personnes autochtones, noires et de couleur mettent l’accent sur l’EDI dans leurs valeurs organisationnelles, seulement 69 % des organismes dirigés par des personnes blanches en font de même.

Comment en sommes-nous arrivés là?

L’étude montre que les bailleurs de fonds ont un rôle crucial à jouer pour faire progresser l’EDI. Évoquant l’étude, Rudi Wallace mentionne que les bailleurs de fonds voient parfois le terme « EDI » simplement comme une expression au goût du jour, plutôt que comme un cadre important pouvant mener à des changements sociaux majeurs.

« On ne peut pas avoir cette conversation [sur l’EDI] sans avoir une conversation très difficile au sujet de la provenance du financement [philanthropique], qui tourne souvent autour du colonialisme, de l’oppression, de la dépossession des terres et des ressources des communautés autochtones », fait-il valoir.

Pour que les fondations communautaires puissent réellement faire progresser l’EDI, « il faut comprendre que ce secteur est fondé sur la suprématie blanche et le colonialisme, ajoute M. Wallace. C’est donc une conversation extrêmement dure à avoir, non seulement avec le personnel et les conseils d’administration, mais aussi avec les donateurs, des personnes merveilleuses qui font un travail formidable. »

Selon l’étude « Changer la dynamique du pouvoir », la toute première étape à franchir pour faire progresser l’EDI consiste à susciter exactement ce genre de conversations au sein des équipes. 

 « Examinez les processus liés à votre relation avec les bénéficiaires, à votre processus d’octroi de subventions, à votre gouvernance ou à vos RH, suggère M. melles. Comment l’équité, la diversité et l’inclusion s’intègrent-elles à votre travail? »

« Il y a [dans l’étude] des recommandations très concrètes à l’intention des bailleurs de fonds, notamment des fondations communautaires », indique amanuel melles, directeur général et cofondateur du Réseau pour l’avancement des communautés noires, organisme qui, comme nous l’avons mentionné plus tôt, a été le premier à plaider en faveur de l’étude et qui se consacre à la transformation des systèmes pour aider les organismes à favoriser des retombées positives au sein des communautés noires. « [Le travail en matière d’EDI] ne peut pas se produire si nous [les bailleurs de fonds] ne le rendons pas possible », ajoute-t-il. 

Principaux points à retenir pour les fondations communautaires

Selon amanuel melles, pour que le travail en matière d’EDI soit fait, il faut mettre en place des structures pour le rendre possible. Des comités et des groupes de travail, par exemple, peuvent permettre d’éviter que le travail sur l’EDI soit effectué sur un coin de table, sans ressources adéquates.

Il ajoute aussi qu’il est important que les organismes adoptent des stratégies globales pour financer les organismes dirigés par des personnes noires, autochtones et racisées, et qu’ils s’assurent que des systèmes sont mis en place pour faire le suivi des progrès dans le cadre d’un audit interne sur l’équité. 

Mais d’abord et avant tout, amanuel melles conseille aux personnes qui dirigent des fondations communautaires de « faire leur introspection ». « Si vous avez fait le travail à l’interne, dit-il, je crois que vous pourrez jouer efficacement votre rôle de partenaire. »

À partir de là, les dirigeants peuvent pleinement évaluer leur culture organisationnelle. « Examinez les processus liés à votre relation avec les bénéficiaires, à votre processus d’octroi de subventions, à votre gouvernance ou à vos RH, suggère M. melles. Comment l’équité, la diversité et l’inclusion s’intègrent-elles à votre travail? »

Au Canada, plus de 10 000 fondations publiques et privées gèrent plus de 120 milliards de dollars d’actifs. Évoquant le rapport « Non financé : les communautés noires, les oubliés de la philanthropie canadienne » de la Fondation pour les communautés noires, M. Wallace indique que les communautés noires reçoivent 0,01 % du financement philanthropique, alors que les communautés autochtones reçoivent un peu plus de 1 % des subventions au Canada.

« On peut parler d’analyse comparative jusqu’à demain matin, mais tant que les membres du conseil d’administration, la  direction, le personnel et les bénévoles n’auront pas changé [leur] façon de penser, nous allons perpétuer les mêmes préjudices », affirme Rudi Wallace.

Pour ce dernier, la concrétisation des principes d’EDI consisterait à voir une vaste redistribution de la richesse et des ressources « vers les communautés marginalisées et mal desservies qui, de tout temps, ont été désavantagées ou opprimées par nos institutions elles-mêmes ». « On pourra mieux en juger lorsque l’on verra comment les fondations investissent leurs fonds de dotation », croit-il.

Donner l’exemple

Même s’il reste d’importants changements à apporter à l’échelle du secteur, Rudi Wallace reconnaît qu’on y fait déjà du bon travail.

Par exemple, 25 % des fonds de dotation de la fondation communautaire de Hamilton sont destinés à des investissements à retombées sociales, notamment à des initiatives en matière de technologies vertes, de logements abordables et de petites entreprises.

M. Wallace mentionne que la fondation communautaire de Hamilton procède tous les cinq ans à un audit interne sur l’équité. Elle a aussi adopté la grille I4DM Definitional Matrix, un outil mis au point par The Circle on Philanthropy and Aboriginal Peoples in Canada pour appuyer l’autodétermination et la souveraineté des peuples autochtones.

Par ailleurs, en collaboration avec ses partenaires, la fondation communautaire de Hamilton participe actuellement à l’élaboration d’une déclaration d’action en matière de vérité et de réconciliation qui concorde avec les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ainsi qu’avec un plan de mise en œuvre.

« Le processus de validation avec les partenaires autochtones est en cours, explique M. Wallace. Nous espérons faire de [la déclaration d’action en matière de vérité et de réconciliation] un document public, afin que nous ayons des comptes à rendre par rapport à ce que nous disons. »

À l’avenir, M. melles souhaite mener une étude de suivi sur « Changer la dynamique du pouvoir » afin d’observer les progrès réalisés par les organismes philanthropiques, comme la fondation communautaire de Hamilton.

« J’espère que nous verrons de plus en plus de gestionnaires et de dirigeants du secteur prendre ce travail très au sérieux », dit-il. Et lorsque cela se produira, il « espère que nous ne réduirons pas les progrès en matière d’équité, de diversité et d’inclusion à de simples “choses à faire” comme des politiques, des pratiques, des formations et des protocoles ». « C’est quelque chose qui a des conséquences directes sur la vie des enfants, des adolescents et des familles de nos communautés », soutient-il.  

Cela dit, il voit la situation d’un œil optimiste, mentionnant que le secteur des organismes à but non lucratif est une part importante de ce qu’est le Canada aujourd’hui. En effet, en 2022, il représentait 8,4 % du PIB total du pays

« Si nous arrivons à mobiliser ce “géant” [le secteur des organismes à but non lucratif] en lui faisant voir la beauté et la force qui résident dans notre diversité, conclut amanuel melles, ce géant, pour ainsi dire, pourrait avoir une incidence énorme. »