Par Njoki Mbũrũ

La première étape 

Voilà un certain temps que la marche est mon refuge. Me promener dans mon quartier ou dans une nouvelle ville, gravir des montagnes et parcourir des parcs ou des terres agricoles me procure un sentiment de soulagement indescriptible. Parfois, j’ai une destination en tête. D’autres fois, je marche jusqu’à ce que le soleil se couche, jusqu’à ce que je me rende compte peu à peu qu’il est temps de rebrousser chemin vers chez moi.

Lors de ces promenades, j’écoute des balados, de la musique ou les bruits de mon environnement immédiat. Parfois, au beau milieu d’une de ces balades, un éclair d’inspiration me frappe et je sais sur quoi portera mon prochain article ou ma prochaine exploration créative. Lorsque cela se produit, je m’arrête là où je me trouve, je me retire sur le côté de la route et je prends des notes sur mon téléphone pour pouvoir y revenir une fois de retour chez moi. Parmi les milliers de balados que j’ai écoutés, il y a quelques épisodes que je considère comme « inoubliables ». Pour cette introduction personnelle, l’un de ces épisodes me servira de muse. 

Où que vous soyez, et quelle que soit la manière dont vous arrivez dans cet espace aujourd’hui, je vous invite à bouger avec moi pendant que je pose les questions à la base de mon travail actuel. En tant que l’une des deux bénéficiaires de la Bourse en narration transformationnelle de Fondations communautaires du Canada, je consacrerai les six prochains mois à m’adonner à un parcours d’apprentissage, à suivre le fil de multiples conversations, à établir des liens durables avec les gens et les communautés qui explorent les liens entre le Web3 et la transformation des systèmes, et à raconter des récits percutants.

Avant de poursuivre, permettez-moi de préparer le terrain avec une définition du Web3 qui orientera le reste du texte. La définition du Web3 donnée par cet article de la Harvard Business Review pourrait être traduite ainsi : « … un raccourci vers le projet de reconfiguration du fonctionnement du Web dans lequel les chaînes de blocs permettraient de changer la manière dont l’information est stockée, diffusée et détenue. En théorie, un Web basé sur les chaînes de blocs pourrait briser les monopoles du contrôle de l’information, de la répartition des richesses et même du fonctionnement des réseaux et des entreprises. »

Prenez une respiration avec moi 

Nous sommes à la fin du printemps 2021. Je marche dans l’un des magnifiques parcs de mon quartier. L’air est pur et frais. Le soleil brille et le ciel est d’un bleu presque immaculé, à l’exception de quelques cirrus qui semblent avoir été dessinés au pinceau. C’est l’une de mes promenades quotidiennes en début de soirée après une longue journée de travail. Je suis ravie d’avoir cette occasion de prendre l’air en écoutant le plus récent épisode du balado The Emergent Strategy. Je mets mes écouteurs et je démarre l’épisode « Dreaming While Black with Walidah Imarisha and Calvin Williams ».

À ce jour, je ne peux toujours pas expliquer comment le temps a passé. Je me souviens toutefois du moment où j’ai réalisé lentement, mais soudainement, que la nuit était presque complètement tombée. Partout autour, la noirceur s’installait dans ce vaste paysage où je me promenais. 

Je me souviens d’avoir appuyé sur le bouton de lecture, puis, quelques minutes après le début de l’épisode, d’avoir appuyé sur pause. Quelque chose dont avaient discuté les invités, Calvin et Walidah, avait touché une corde sensible chez moi. J’avais besoin d’arrêter de bouger pour laisser la place aux pensées et aux émotions déclenchées en moi. 

Prenez une respiration avec moi. Comptez : 4, 3, 2, 1.
Retenez votre respiration : 4, 3, 2, 1. Expirez avec moi : 4, 3, 2, 1. Recommencez. 

Les sentez-vous? La stabilité, l’ouverture, la permission d’occuper l’espace?

En les écoutant parler, j’ai éprouvé un sentiment d’ouverture. J’ai inspiré de manière plus délibérée que d’habitude, beaucoup plus profondément aussi. Une chaleur et un soulagement m’ont enveloppée, comme si quelque chose venait de fondre de mes épaules et s’infiltrait au cœur de la Terre. Mes pieds étaient fermement ancrés au sol, et pourtant un sentiment de liberté se mettait en branle.

Qu’y a-t-il d’autre de possible?

Mais de quoi donc est-ce que Calvin et Walidah ont parlé dans ce balado pour que cela ait un tel effet sur moi? 

Pour vous mettre brièvement en contexte, Calvin et Walidah ont parlé du projet commun qu’ils ont orchestré entre le Wakanda Dream Lab et PolicyLink. Les personnes qui participaient à ce projet ont utilisé la fiction visionnaire, leur imagination et des éléments propres aux récits afrofuturistes pour créer ensemble Black Freedom Beyond Borders: Memories of Abolition Day, une vidéo que le groupe décrit comme « une histoire de sécurité et de liberté dans un avenir sans prisons ni police. »

Ce projet nécessitait le refus. Le refus du statu quo, le refus de la « normalité », le refus de l’oppression continue et des structures qui perpétuent les iniquités et la violence. J’ai également fait l’apprentissage fondamental qu’en plus de la résistance, nous devons aussi canaliser notre énergie vers la création. Oui au démantèlement des systèmes qui perpétuent les préjudices, le racisme et les traumatismes. Et oui aussi à des actions intentionnelles, engagées et délibérées visant à bâtir des systèmes qui favorisent la guérison, la libération et l’autodétermination. C’est ce que j’appelle « vivre dans le “oui, et” ». À la frontière de l’amour et de la rage. Et pour Calvin et Walidah, la création collaborative de Black Freedom était ce qu’ils appellent « une permission de rêver ».

Je pourrais parler beaucoup plus en détail du contenu de cet épisode, mais je veux me concentrer sur les questions du balado qui continuent d’orienter mon approche du récit et de l’animation. Dans le cadre de mon travail, je cherche à diriger avec curiosité, à m’amuser avec l’imagination et à réfléchir aux possibilités qui se trouvent en marge de tout système. 

Dans l’épisode, Calvin et Walidah ont soulevé trois questions qui me sont restées en tête. Ces invitations à faire des recherches, à imaginer et à rêver d’un avenir libérateur sont les suivantes :

  1. Qu’est-ce qui semble encore nécessaire?
  2. Qu’est-ce qui semble maintenant possible?
  3. Qu’est-ce qui doit encore sembler irrésistible?

Par conséquent, lorsque je pense aux intersections entre le Web3 et la transformation des systèmes, je suis intriguée et captivée par l’avenir visionnaire que nous pouvons créer en nous donnant la permission de rêver au-delà des actuelles structures économiques et politiques. En fait, non. Pas de rêver au-delà d’elles, mais de rêver à travers elles à la prochaine réalité possible. Je ne plaide pas en faveur d’un abandon de tous les systèmes et technologies actuellement en place. J’ai plutôt la volonté d’explorer ce qu’il y a d’autre de possible lorsque nous nous installons volontairement dans les fissures de notre réalité actuelle. Qu’est-ce qui se passe lorsque nous sommes assez honnêtes pour dire : « Ce [système/contrat] ne fonctionne pas pour tout le monde »? Qu’y a-t-il d’autre de possible ici?

Alors que le soleil se couche, un nouveau rêve se dessine à l’horizon 

Je regarde autour de moi et je me rends compte qu’il fait maintenant noir. J’ai marché plus longtemps que prévu, mais ça ne me dérange pas. J’ai fait de nombreuses pauses pour prendre des notes et me donner le temps de penser. Je me dis : « Voilà un épisode de balado qui m’accompagnera pendant longtemps. » 

Alors que le soleil se couche, je rebrousse chemin vers chez moi. J’ai l’impression d’avoir un foyer en moi, un feu crépitant au-dessus duquel faire mijoter mes pensées. L’idée de rêver à un lieu d’abondance m’enthousiasme. 

Je veux réfléchir à la question : « Qu’y a-t-il d’autre de possible? » 

C’est là la prémisse de mon projet pour la Bourse en narration transformationnelle. Je suis enthousiaste à l’idée de rêver, de faire des recherches et de faire connaître les projets, partenariats et politiques que rendrait possible la combinaison des technologies du Web3 et de la transformation des systèmes. C’est une façon de nous donner, à moi-même et aux communautés dont je fais partie, la permission de rêver d’un avenir au cœur duquel se trouve l’affirmation de notre libération, de notre autodétermination et du bien-être de notre génération.

Nous ne pouvons pas bâtir ce que nous ne pouvons pas imaginer… Nous ne pouvons pas laisser les systèmes nous dicter les moments où nous avons le droit de rêver. Nous devons les réclamer nous-mêmes.

Walidah Imarisha

À propos de Njoki

Njoki s’est consacrée au service communautaire et à la défense des intérêts en matière de santé publique, de sécurité alimentaire et d’équité pendant des années. En octobre 2020, elle a suivi un programme de neuf mois sur les politiques avec la Vancouver Foundation.

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