Avant la pandémie, mes amis et moi avions l’habitude d’organiser des repas communautaires et des clubs de conversation. Nous invitions des personnes issues de divers milieux culturels et leur demandions d’emmener des amis. Nous établissions des partenariats avec un café local ou louions un espace pour les accueillir. Pour financer ces activités, nous comptions sur de petites subventions octroyées par des organismes jeunesse ou sur nos propres ressources. 

En tant que personnes immigrantes, nous comprenions la solitude que ressentaient les nouvelles personnes dans la communauté. Nous manquions d’endroits pour nous rencontrer, dans lesquels nous n’avions pas à atténuer nos identités croisées et où nous étions invités à parler de notre patrimoine et de nos intérêts dans le cadre d’une activité divertissante.

J’ai maintenant les mots pour décrire ce que nous cherchions à l’époque : une infrastructure sociale inclusive.

Les infrastructures sociales sont des systèmes publics, des installations, des immeubles, des espaces, des plateformes, des services, des activités, des organismes, des réseaux et des mouvements qui influencent la façon dont les gens interagissent et soutiennent la vie collective. (Engle, Agyeman, & Chung-Tiam-Fook, Sacred Civics: Building Seven Generation Cities

Selon Jayne Engle, urbaniste à Dark Matter Labs et professeure associée à l’Université McGill, ces infrastructures aident à créer des tendances relatives à la façon dont les gens vivent, travaillent, créent et agissent ensemble et à leurs relations avec le monde. 

Ces infrastructures sont essentielles au développement, au bien-être et à la résilience des communautés. Elles nous aident à partager nos activités communes avec nos voisins. 

En temps de crise, les infrastructures sociales peuvent même sauver des vies, comme le montrent les recherches du sociologue américain Daniel Aldrich. Une étude réalisée en 2016 portant sur des quartiers de la ville de New York a révélé que les liens entre les résidents étaient essentiels au rétablissement à court terme ainsi qu’à la restauration et à la résilience à long terme après l’ouragan Sandy. 

Malheureusement, les infrastructures sociales sont souvent négligées au cours de la conception des villes, car on présume souvent que ces liens entre voisins existent déjà.

Les lieux comme les bibliothèques, les kiosques, les écoles, les parcs et les centres communautaires devraient aussi être des lieux de connexion, tant relationnelle que numérique, à l’image d’un réseau, afin d’offrir des capacités complémentaires, explique Jayne Engle.

Il est important que ces lieux soient « radicalement inclusifs » pour tout le monde, a-t-elle ajouté. Bien qu’il soit nécessaire de disposer de lieux destinés plus particulièrement aux populations marginalisées, pour qu’une transformation se produise, les communautés ont également besoin d’endroits où tout le monde peut se réunir, indépendamment du genre, de l’âge, de l’appartenance ethnique, de la classe, de la race, des capacités et d’autres identités qui se recoupent.

C’est cette infrastructure sociale inclusive que l’initiative Every One Every Day Kjipuktuk à Halifax est en train de mettre en place et de développer.

Photo par Every One Every Day Kjipuktuk/Halifax.

Situé dans le quartier très diversifié et en voie d’embourgeoisement rapide de North End, Every One Every Day est un espace communautaire dirigé par le Centre d’amitié autochtone mi’kmaq (Halifax, Nouvelle-Écosse).

L’approche participative utilisée crée les conditions propices à la créativité et à la collaboration au quotidien, et ce, grâce à une plateforme qui comprend une boutique de quartier, des concepteurs et des conceptrices de projets de quartier, un journal saisonnier et un réseau d’organisations et d’entreprises communautaires. L’objectif est d’évoluer vers des économies locales régénératrices, axées sur le bien-être et ouvertes à toutes et à tous. 

Au cœur de tout cela se trouve un engagement en faveur de la vérité et de la réconciliation ainsi que de la culture mi’kmaq. 

Debbie Eisan, aînée anishinaabe, qui a contribué à orienter l’approche de Every One Every Day, compare celle-ci à un capteur de rêves. 

« Quand on tisse un capteur de rêves, une partie de la toile dépend de l’autre pour sa survie et son soutien. Et lorsqu’on arrive au centre du capteur de rêves, on obtient un cercle qui soutient toutes les autres parties de la toile. Dès qu’on coupe ce cercle central, toute la toile se défait », explique-t-elle.

« Il est donc très important pour nous de rassembler nos communautés, de créer ce rêve de EveryOne Every Day, dans notre façon d’aller de l’avant. »

Lors du lancement de la boutique de quartier en 2022, Pam Glode-Desrochers, directrice générale du Centre d’amitié autochtone mi’kmaq, a déclaré que l’initiative avait également amené les personnes participantes à travailler et à interagir différemment les unes avec les autres. 

Voilà le type de transformation personnelle qu’une infrastructure sociale inclusive, fondée sur la vérité et la réconciliation, peut contribuer à favoriser.

« Lorsque nous parlons d’infrastructure sociale, il s’agit du cœur et de l’âme d’une communauté », explique Pam. « C’est une entité vivante, qui respire, se développe et évolue, surtout lorsque la communauté participe. »

Construire des villes pour les sept prochaines générations

Every One Every Day est un exemple d’initiative offrant une solution de rechange aux modes de fonctionnement en silos dont nous avons l’habitude en Amérique du Nord. Ces séparations engendrent une culture de concurrence et non de collaboration.

Cela est dû en grande partie à des valeurs coloniales de longue date. Dans les villes, le colonialisme de peuplement se traduit notamment par la propriété foncière privée, les espaces publics qui ne sont pas conçus en tenant compte de l’accessibilité et de la culture autochtone, les communautés cloisonnées et les économies qui ne sont pas régénératrices et inclusives. 

Pour aider à repenser la vie civique et les systèmes qui la sous-tendent, Pam, Jayne, Tanya Chung-Tiam-Fook et d’autres personnes se sont réunies pour former 7GenCities. Tanya se spécialise dans les perspectives et la participation autochtones, sur des sujets liés à la construction des villes et à la résilience écologique et climatique. 

7GenCities et ses collaboratrices et collaborateurs veulent concevoir conjointement des communautés et des infrastructures diverses fondées sur le principe de la septième génération

On retrouve des variantes de cette philosophie dans de nombreuses cultures autochtones du monde entier, y compris la tradition akawaio de Guyane, où se trouvent les racines de Tanya. 7GenCities s’inspire particulièrement des enseignements sur la septième génération de la Gayanashagowa (Grande loi de la paix) de la Confédération haudenosaunee, sur l’île de la Tortue, qui met l’accent sur le changement régénérateur à long terme et les relations réciproques entre les peuples ainsi qu’entre les humains et la Terre.

« Le principe de la septième génération exige que nous travaillions ensemble pour décoloniser et repenser collectivement plusieurs de nos paradigmes, logiques et systèmes dominants, et en particulier nos systèmes de gouvernance, économiques et politiques », explique Tanya.

7GenCities réalisera un travail de terrain qui invite à repenser les villes de l’avenir. Dans un premier temps, le projet prévoit la mise en place d’une communauté d’apprentissage avec six villes réparties sur le territoire colonial appelé Canada. Les partenaires autochtones, municipaux et civils seront invités à témoigner de leur expérience et à apprendre ensemble comment renforcer les infrastructures sociales qui intègrent la vérité et la réconciliation.

Photo par Every One Every Day Kjipuktuk/Halifax.

Au cours de cette décennie, le gouvernement canadien compte consacrer plus de 180 milliards de dollars aux infrastructures (2016 – 2028). Devant les appels renouvelés à la réconciliation, la hausse de la polarisation et des inégalités économiques, les crises climatiques et les répercussions de la pandémie sur le bien-être et la cohésion sociale, il est nécessaire d’examiner les valeurs, les hypothèses et les systèmes sur lesquels se fonde la conception des villes et de leurs infrastructures.

« Les modes de changement holistiques et relationnels sont grandement nécessaires pour relever les énormes défis sociétaux. De plus, ils nécessitent une manière complètement différente d’être ensemble. Le plus beau dans tout cela, c’est que je pense que c’est en grande partie intuitif chez nous », ajoute Jayne. « Cela me donne beaucoup d’espoir. »

Il s’agit de la première partie d’une série des articles sur Every One Every Day Kjipuktuk/Halifax, une initiative considérée comme un exemple concret d’infrastructure sociale inclusive fondée sur la vérité et la réconciliation. Lire l’article prochain ici.

Pour obtenir de plus amples renseignements sur 7GenCities et la communauté d’apprentissage en cours de création, veuillez communiquer avec tanya@7GenCities.org, jayne@darkmatterlabs.org ou pam@mymnfc.com. 7GenCities est une nouvelle collaboration, initialement lancée avec le soutien du Centre d’amitié autochtone mi’kmaq, de Dark Matter Labs et de Fondations communautaires du Canada, ainsi qu’avec le soutien financier du Fonds Mariam Assefa de WES, de la Fondation Trillium de l’Ontario et de la Fondation McConnell.

Photo de couverture par Every One Every Day Kjipuktuk/Halifax.

Inda Intiar (she|her) est lauréate d’une bourse en narration transformationnelle de Fondations communautaire du Canada.