Cet article s’inscrit dans une série commandée par Fondations communautaires du Canada pour accompagner les rapports nationaux Signes vitaux sur l’égalité des genres. La série sera publiée au cours de l’automne 2020 et accessible ici.

Au cours du printemps dernier, dans la foulée du confinement mondial, un événement extraordinaire s’est produit : pour la première fois de l’histoire moderne, le monde s’est littéralement arrêté. Sans avions en circulation, le ciel est devenu calme. Sans les nombreuses personnes se déplaçant sur les routes vers leur lieu de travail, l’air est devenu moins pollué. Et en peu de temps, la faune a commencé à revenir dans les villes, en raison des rues, des autoroutes et des voies navigables moins fréquentées, au Canada comme ailleurs dans le monde. En fait, notre climat aussi a eu droit à une pause : au printemps 2020, au plus fort du confinement, les émissions mondiales de dioxyde de carbone ont chuté de 17 %.

Évolution des émissions mondiales quotidiennes de CO2 provenant de combustibles fossiles, par source d’émissions, janvier à mai 2020.

Cela dit, non seulement l’arrêt de l’activité économique a-t-il été causé par un virus mortel qui créera des difficultés économiques pour les femmes et les autres groupes marginalisés pendant encore longtemps, mais il n’a eu qu’une incidence très ponctuelle sur l’environnement. En effet, la crise environnementale est toujours bien présente, et ses répercussions sont bien réelles et se font déjà sentir chez les gens plus vulnérables. L’arrêt de l’économie, toutefois, nous a bel et bien donné un aperçu de ce que pourraient être nos communautés si nous réinventions la relation que nous entretenons avec la planète, et si nous restructurions notre économie.

Avant la pandémie, pendant que nos recherchistes se concentraient sur l’égalité des genres pour les rapports nationaux Signes vitaux de FCC, nous avons commencé à réfléchir aux liens entre la justice sociale et la justice environnementale. Or, la COVID-19 a rendu ces liens encore plus évidents, si bien que nos communautés se trouvent vraiment à un moment charnière. La pandémie empirera-t-elle vraiment la situation, ou l’améliorera-t-elle de façon notable? Telle est la question.

Les défis environnementaux en situation de pandémie

Malheureusement, la COVID-19 génère un certain nombre de défis liés à la protection de l’environnement. Au cours des derniers mois, le Canada et la plupart des provinces ont utilisé la relance économique comme justification pour retarder, affaiblir et même revenir sur des réglementations environnementales. Ainsi, Ottawa a repoussé les dates butoirs pour la divulgation des données sur les émissions de gaz à effet de serre des entreprises. Le Québec a tenté, sans succès, de faire adopter une loi qui aurait permis au gouvernement de contourner les réglementations environnementales. L’Alberta a suspendu les exigences en matière de surveillance environnementale pour l’industrie des sables bitumineux et levé le moratoire sur l’extraction du charbon dans les Rocheuses, qui datait de 1976.

Or, ce ne sont que quelques exemples et cette tendance est inquiétante, sachant que la dégradation environnementale est liée à des impacts négatifs dans les communautés les plus marginalisées, notamment l’accroissement de la violence fondée sur le genre au Canada et ailleurs dans le monde. En fait, la COVID-19 a exacerbé la violence envers les femmes de nombreuses façons, notamment en augmentant le stress économique qui peut aggraver la violence conjugale, en déplaçant encore plus le fardeau des soins sur les femmes et en mettant à risque les femmes qui défendent les droits de la personne en matière d’environnement autour du monde. Les communautés autochtones sont également confrontées à des menaces accrues d’accaparement des terres provoquées par la pandémie.

L’importance des données

L’un des éléments qui nous sont apparus évidents quand nous avons fait nos recherches pour les rapports nationaux Signes vitaux, c’est qu’il existe toujours un énorme écart dans les données désagrégées sur les enjeux environnementaux liées au genre, à la race, à la classe socioéconomique et à d’autres variables d’importance. Ce faisant, il peut être difficile pour les communautés d’avoir une compréhension claire de l’ensemble de la situation, et donc de prendre les mesures appropriées. C’est d’ailleurs devenu très évident pendant la pandémie : même si les décideurs ont accès à une quantité phénoménale d’information sur les infections de COVID-19, nous ne connaissons pas les raisons exactes qui expliquent pourquoi les personnes noires canadiennes sont touchées de façon disproportionnée par le virus, parce que les données disponibles ne sont pas ventilées par indicateurs, comme la race ou le revenu.

Or, avoir la capacité de ventiler des données est un élément essentiel quand vient le temps de chercher des solutions équitables à nos crises environnementales.

Heureusement, la crise de COVID-19 a également mis en évidence plusieurs possibilités de changement dans nos communautés, à la fois pour le bien-être de l’environnement et des gens. 

Production alimentaire

Les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement et la panique des consommateurs au début du confinement, de même que le recours accru aux banques alimentaires, ont fait ressortir la nécessité de repenser notre système alimentaire. À l’heure actuelle, les procédés en matière d’agriculture ainsi que de transformation et de distribution des aliments sont responsables de plus du quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Un virage vers une production alimentaire locale et écologiquement durable pourrait contribuer grandement à réduire l’empreinte environnementale de ce que nous mangeons. Cela pourrait également permettre de rediriger l’argent dans les communautés locales, tout en créant des milliers d’emplois.

Transport, travail et genre

La façon dont nous voyageons peut également avoir une incidence énorme sur l’environnement. Avant la pandémie, les femmes étaient déjà plus susceptibles que les hommes (22 % contre 16,9 %) de se rendre au travail à vélo, à pied ou en utilisant les transports collectifs, et moins nombreuses à s’y rendre en voiture (77 % contre 81,8 %).

Or, réduire les déplacements vers le travail en permettant à un plus grand nombre de personnes de privilégier le télétravail pourrait aider à diminuer les émissions de gaz à effet de serre et à prévenir certains des 14 000 décès par an au Canada qui sont liés à l’exposition à la pollution atmosphérique.

La pandémie a accéléré le changement en cours dans la façon dont les gens travaillent au Canada – et dans la fréquence des déplacements pour le travail, y compris les très polluants voyages en avion. Bien qu’il soit peu probable que les niveaux de télétravail observés durant la pandémie perdurent à long terme, plusieurs choses pourraient être faites pour encourager le télétravail quelques jours par semaine dans de nombreux emplois. D’autant plus qu’environ la moitié des femmes canadiennes occupent un emploi compatible avec le télétravail, et que cette proportion est encore plus élevée pour les hommes. Toutefois, la capacité de travailler en ligne est également très liée à une éducation supérieure et à des revenus élevés. Ce faisant, la réduction de l’impact environnemental lié au transport vers le travail exigera une approche équitable, qui comprend la mise en valeur d’un système de transport collectif abordable.

Reimagining Our Economy

Réinventer notre économie

La voie la plus prometteuse pour un changement durable réside sans doute dans nos plans en matière de relance économique.

Depuis longtemps, les acteurs du changement militent pour une transformation radicale de l’économie comme solution à la crise climatique. Pas plus tard que l’année dernière, l’idée d’un New Deal Vert avait le vent en poupe au Canada.

L’un des principaux arguments contre une transition profonde et rapide vers une économie durable résidait dans le fait que cela coûterait tout simplement trop cher. Mais la pandémie a démontré que les gouvernements sont disposés à dépenser des sommes énormes pour maintenir l’économie à flot.

De nombreux groupes à travers le Canada réclament donc maintenant des plans de relance qui permettraient de faire une transition vers une économie plus juste et plus équitable. Ils demandent des investissements dans les infrastructures vertes, une relance verte, et une reprise féministe. De plus, de façon encourageante, certains de ces plans combinent des préoccupations en matière d’environnement et d’équité sociale à une reprise équitable pour un meilleur avenir post-pandémie. Si nous devons accabler les générations futures d’énormes dettes, ne devrions-nous pas aussi leur donner les meilleures chances d’avoir un environnement sain et des communautés équitables?

Que peuvent faire les fondations communautaires pour soutenir une reprise juste et verte?

Les fondations communautaires sont souvent bien placées pour soulever les questions pressantes et aider les différents acteurs à imaginer des communautés saines et inclusives pour tous les gens. Les rapports Signes vitaux et les Échanges vitaux sont d’excellents moyens de se demander : Qui sont les gens que la pandémie a rendus plus vulnérables et comment faire en sorte que cela ne se reproduise plus? Quels investissements et changements systémiques sont requis pour bâtir des communautés plus équitables? Les fondations communautaires peuvent aussi utiliser leur position unique pour créer des partenariats intersectoriels qui pourront générer des solutions pour une reprise équitable pour les générations actuelles et futures – tout en s’assurant que le leadership des femmes est à l’avant-plan. Quels sont les groupes communautaires – qui travaillent souvent à la marge – dont les solutions comprennent une justice sociale et une justice environnementale qui vont de pair? Les fondations communautaires peuvent les trouver, aider à les financer et faire entendre leurs voix en faveur du changement.

Juniper Glass est chercheuse principale et auteure de la série nationale Signes vitaux sur l’équité entre les genres. Elle est directrice à Lumiere Consulting et membre du comité de l’engagement communautaire de la Fondation du Grand Montréal.

Daniel Belbas est un chercheur et un étudiant à la maîtrise à la School of Urban Planning de l’Université McGill.