Cet article s’inscrit dans une série commandée par Fondations communautaires du Canada pour accompagner les rapports nationaux Signes vitaux sur l’égalité des genres. La série sera publiée au cours de l’automne 2020 et accessible ici.

Les répercussions de la COVID-19 sur la main-d’œuvre sont loin d’être équitables. Les gens qui sont les plus frappés par la maladie, ceux qui en meurent et les conditions dans lesquelles ils décèdent sont autant de facteurs qui nous racontent une histoire beaucoup plus ancienne que cette pandémie. Cette histoire parle de pouvoir, d’appartenance et de systèmes conçus pour exclure de nombreuses personnes tout en acceptant certaines. Or, la COVID-19 a exacerbé les inégalités existantes et fait ressortir au grand jour les systèmes qui laissent tomber les plus marginalisés, ceux qui ont le moins accès au pouvoir dans ce pays.

Le 19 octobre 2020, on dénombrait plus de 200 000 cas de COVID-19 au Canada. Et à la fin du mois de juillet, on signalait qu’environ 20 % des cas diagnostiqués touchaient des membres des équipes du secteur des soins de santé. En effet, en tant que premiers répondants, ces gens font face à un risque accru d’exposition et d’infection à la COVID-19. Un rapport de l’OMS décrit d’ailleurs une « tragédie humaine » en évolution parmi les personnes du secteur de la santé qui répondent à la pandémie à travers le monde.

Au Canada, le personnel des soins de santé a exprimé des inquiétudes relatives aux obstacles pour avoir accès aux équipements de protection, à la rémunération inadéquate reliée aux conditions difficiles dans lesquelles le travail est accompli – que l’on appelle la prime de risque – et au manque d’effectifs. En outre, la pandémie a durement éprouvé la santé psychologique, et les équipes de soins de santé sont durement touchées à cet égard, alors qu’elles sont sur la ligne de front de la réponse mondiale de ce virus qui a déjà causé plus d’un million de décès sur la planète. Ainsi, cette main-d’œuvre souffre d’une fatigue croissante, d’épuisement professionnel et de problèmes de santé mentale, alors qu’il y a moins de ressources disponibles.

Or, on ne peut discuter de l’incidence de la pandémie sur les équipes de soins de santé sans parler des gens qui en font partie. Au Canada, cette main-d’œuvre est massivement féminine et racialisée.

Dans de trop nombreux cas, les systèmes ont totalement échoué à mettre en place des protections adéquates et appropriées pour le personnel de soins de santé. Par exemple, au début de la pandémie en Ontario, les retards à fournir du matériel de protection aux gens offrant des services de soutien à la personne ont mené à une hausse des cas de COVID-19 dans le secteur de la santé. Il n’est donc pas étonnant de constater que cette catégorie de main-d’œuvre se trouve surreprésentée dans les décès de personnel de santé en Ontario.

En fait, l’impact de la COVID-19 sur la main-d’œuvre en santé doit être analysé avec un œil critique qui tient compte de l’incidence de la race, de l’inégalité des genres, du patriarcat, de la xénophobie et de la classe sociale dans les résultats négatifs. Ces facteurs intersectionnels, superposés l’un à l’autre, ont eu un effet indéniable en rendant les soutiens inaccessibles pour le personnel. Et les défenseurs affirment que les soutiens et protections ont mis du temps à se rendre à cette main-d’œuvre justement parce que l’effectif du secteur des soins de santé est composé principalement de gens à qui on n’offre que peu ou pas de soins dans notre société. Or, si un tel désastre a pu se produire, c’est que même en pleine pandémie dévastatrice, la vie et la contribution de certaines personnes travaillant dans le système de santé sont systématiquement sous-évaluées. Et pour comprendre pourquoi, nous devons nous demander quelle main-d’œuvre est visible et comment la valeur est mesurée. 

Alors que la pandémie prenait de l’ampleur, le personnel des soins de santé a commencé à sonner l’alarme au sujet de leurs conditions de travail. Parmi les éléments soulevés, on retrouve les salaires peu élevés, les avantages sociaux limités, les congés de maladie insuffisants, le peu de normes liées à un travail décent (par exemple, l’absence d’uniformisation entre le secteur des soins de longue durée et celui des soins à domicile a forcé de nombreuses personnes travaillant comme préposé aux bénéficiaires à conjuguer plusieurs emplois à temps partiel pour avoir un horaire à temps plein), ainsi que l’insuffisance de protections sur le lieu de travail et de mécanismes de signalement de la sécurité du personnel. 

Cela dit, cette main-d’œuvre a obtenu des gains importants au cours de la pandémie – notamment des voies accélérées pour la résidence permanente et la régularisation du statut d’immigrant pour les gens travaillant aux premières lignes des soins de santé au Québec, ainsi que des augmentations de salaire pour le personnel exerçant des fonctions de préposé aux bénéficiaires en Ontario. Toutefois, des lacunes importantes subsistent.

Partout au Canada, les communautés ont commencé à réfléchir aux éléments requis pour assurer une reprise juste et équitable après la pandémie.

Pour ne plus répéter ce que nous décrivons ici, et pour créer un monde dans lequel tous les gens travaillant dans les soins de santé seront appréciés à leur juste valeur, en particulier les femmes racialisées, il faut améliorer les conditions de travail dans l’ensemble du secteur.

Il faut également corriger les lacunes qui entraînent un risque accru pour les gens travaillant dans les soins de santé. Car toute la main-d’œuvre, y compris celle exerçant des fonctions de préposé aux bénéficiaires et d’autres rôles de soutien, doit pouvoir bénéficier de protections équitables. Le temps est venu de s’attaquer aux facteurs systémiques et structurels qui nourrissent l’intensification de la COVID-19. Et pour cela, les décideurs politiques et les dirigeants du secteur de la santé doivent résolument s’engager à lutter contre les inégalités de genres, le racisme et les inégalités systémiques.

Dans cette foulée, le secteur philanthropique doit aussi participer activement à cette réflexion. Car il est bien placé pour financer les initiatives s’attaquant aux inégalités, et surtout, pour plaider en faveur de changements systémiques qui permettront de ne pas nuire davantage aux communautés déjà marginalisées. Pour qu’une reprise juste devienne une réalité pour tous, le secteur de la santé doit reconnaître les inégalités exacerbées par la COVID-19, et y remédier de façon durable. 

Sané Dube est analyste de politiques et rédactrice. Elle est membre du peuple Ndebele, de ce qu’on appelle aujourd’hui le Zimbabwe. Elle vit sur le territoire du Traité no 13/Toronto. Suivez-la sur Twitter, @hello_sane.